Comme beaucoup d’autres organisations, Paideia est fortement impliqué, au côté de l’Education nationale, en faveur de la réussite des élèves. Nous nous sommes néanmoins aperçus que deux réussites sont évoquées lorsque l’on s’empare du sujet : « la réussite scolaire » et la « réussite éducative ». À quoi renvoient ces termes ? Présentent-ils des différences ?
Le premier, la réussite scolaire, concernerait les capacités des élèves à acquérir les savoirs académiques manifestés par des « bonnes notes », à se conformer en classe aux attentes précises des enseignant.e.s, qu’elles soient explicites ou implicites, à réussir leurs examens nationaux, à passer en classe supérieure et à obtenir leurs diplômes. La « réussite scolaire » porterait donc l’attention sur les performances et les résultats de l’élève dans une logique de hiérarchie.
La « réussite éducative » semble plus sensible à l’obligation de moyens, prenant en compte le développement de l’élève, ses attitudes, son bien-être et son rapport aux autres. Et pour cause. Le terme « réussite éducative » aurait été peu à peu introduit dans les discours pour remplacer la notion « d’échec scolaire ». On trouve derrière cet usage, une volonté d’aller vers des mesures préventives plutôt que de rattraper les jeunes déjà en rupture avec le système scolaire1. La réussite éducative se distinguerait par une prise de conscience plus importante de la question sociale et environnementale de l’élève. Dans cette perspective, pour qu’il y ait réussite éducative, l’école ne peut suffire. Il faudrait de surcroît, toujours en amont, « des initiatives prises et des actions mises en œuvre par ses parents, par son entourage ou par des professionnels pour permettre à l’enfant ou à l’adolescent de se rapprocher et d’atteindre cet état, et la progressive appropriation par l’intéressé de ce qui lui est fourni » (Glasman, 2007)2.
Mais peut-on réellement séparer ces deux réussites ? Dira-t-on d’un enfant bien intégré à l’école mais échouant à plusieurs reprises à passer dans les classes supérieures qu’il est en réussite éducative ? Dira-t-on d’un adolescent au mal-être apparent mais aux résultats excellents qu’il est en réussite scolaire ? Ne trouve-t-on aucune interdépendance entre la réussite scolaire et la réussite éducative ?
De notre point de vue, ces réussites nécessitent toutes deux des compétences particulières comme la curiosité, la persévérance, ou l’affirmation de soi. De même, il nous apparaît complexe d’imaginer que les performances à l’école ne trouvent pas quelques relations avec l’éducation et les processus de socialisation des élèves ou que ces mêmes performances ne développent en aucun cas d’autres compétences comme celles citées plus haut. Enfin, les méthodes de recrutement dans la vie professionnelle vérifient évidemment les diplômes, mais considèrent fortement d’autres acquis : la ponctualité, l’expression verbale et corporelle, la capacité du candidat à se préparer pour un entretien, à comprendre et à répondre à des questions spécifiques, à s’adapter dans des contextes culturels inédits ; autant d’atouts qui se développent lors de moments informels d’apprentissage dont l’école n’a pas le monopole3.
Cependant, comme mentionné précédemment, la réussite éducative a pris la place d’un sujet plus douloureux. Nous n’avons discuté pour le moment que de réussite, qu’elle soit scolaire ou éducative, mais on ne saurait faire l’omission de son opposé : l’échec. Car si nous pouvons parler d’élèves en réussite, c’est qu’il y a de l’autre côté, des élèves en situation d’échec. Ceux que François Dubet nomme les « vaincus » au terme d’une compétition supposée équitable, mais qui en réalité distingue les compétiteurs en fonction de leur origine sociale. Ici, contrairement à la réussite, nous n’avons trouvé qu’un seul terme, celui de l’échec scolaire. Mais de l’échec scolaire, comprend-on que l’élève n’a pas su mobiliser les bonnes ressources pour passer dans la classe supérieure, ou que le système scolaire n’a pas permis à celui-ci d’apprendre efficacement ? Qui devrait s’adapter à qui dans cette relation si particulière que représente l’acte d’apprendre et son corollaire l’art d’enseigner?
S’il existe bel et bien des écarts entre la réussite scolaire et la réussite éducative, nous souhaitons, plutôt que d’alimenter un débat sémantique, accompagner les élèves afin qu’ils se les approprient, prennent conscience qu’elles peuvent s’exprimer à travers plusieurs dimensions et mettent du sens dans ces réussites.
Sans doute pour lui donner davantage de sens, et un sens propre à chacun, ne devrions-nous pas également questionner ce terme qui sonne comme une injonction sociale, réussir mais pour quels desseins ? Réussir oui bien sûr, mais que fait-on de tous ces adolescents qui ne « réussissent » pas selon les critères que la société valorise ? Comment faire société avec eux, sans les culpabiliser, ni les isoler voire les désespérer. Peut-être qu’une remise en question de nos croyances et de nos représentations nous aiderait à davantage être attentif aux élèves et nous inviterait à faire confiance dans le regard qu’ils peuvent porter sur le monde. Ce serait une occasion de réinventer collectivement ce que réussir veut dire.
1 Annie Feyfant 2014, « Réussite éducative, réussite scolaire ? », Observatoire de la réussite éducative, en ligne http://observatoire-reussite-educative.fr/problematiques/reussite-scolaire-reussite-educative/rapports-dossiers/reussite-educative-reussite-scolaire-1/dossier-veille-analyse p. 3.
2 Ibid, p. 5.
3 Glasman D. 2007, « Il n’y a pas que la réussite scolaire », Informations sociales, n° 141, p. 74-85.