Le travail personnel des lycéens : entre mythe de l’autonomie et réalités méconnues

Une problématique souvent sous-estimée

Le travail personnel est souvent présenté comme un levier essentiel de la réussite scolaire, au cœur des attentes institutionnelles, pédagogiques et familiales. Pourtant, cette dimension du “métier d’élève”, incarnée notamment par les devoirs à la maison, reste étonnamment peu étudiée dans la littérature académique, en particulier dans l’enseignement secondaire. Elle est aussi entachée de nombreux préjugés, particulièrement celui d’une supposée autonomie des élèves : s’ils ne s’y consacrent pas, cela serait par manque de volonté ou d’effort. Cette mise en cause de leur volition masque de nombreuses questions qu’il serait néanmoins intéressant d’interroger. 

Le travail personnel est traditionnellement associé à des “valeurs” comme l’effort et la persévérance, deux compétences psychosociales clés (CPS). Cependant, dans un contexte où les élèves ont un accès facilité à des outils numériques qui “répondent aux questions” (moteurs de recherche, intelligence artificielle, sites de corrections automatisées), cette notion est mise à mal. L’effort tend parfois à être contourné au profit d’une recherche d’efficacité immédiate, posant la question de l’impact de ces nouveaux usages sur l’apprentissage et la construction de compétences à long terme.

Pour approfondir ces questions, l’article Le travail personnel des lycéens, rédigé par Christophe Michaut, maître de conférences, propose une base d’analyse précieuse. Cette recherche menée en 2012 auprès de 1618 lycéens explore le temps réellement consacré au travail à la maison et révèle des résultats à la fois éclairants et parfois contre-intuitifs.

Combien de temps les lycéens consacrent-ils réellement au travail personnel ?

Selon l’étude, les lycéens déclarent travailler en moyenne 1h par jour en semaine et 1h10 environ chaque jour du week-end, soit un total hebdomadaire de 7h15. Toutefois, ces moyennes masquent des écarts significatifs entre les élèves :

 

  • 29 % travaillent moins de 30 minutes par jour, un temps minimaliste susceptible de fragiliser leurs apprentissages.
  • À l’inverse, 9 % y consacrent plus de deux heures quotidiennes, reflétant une implication intense mais minoritaire.
  • En parallèle, 65,1 % des élèves disent travailler régulièrement, tandis que 16,2 % se limitent au strict nécessaire, en fonction des échéances comme les devoirs à rendre ou les contrôles.

 

Ces disparités soulèvent plusieurs questions : Quels facteurs influencent l’investissement des élèves dans le travail personnel (la motivation, l’attrait de la note, la contrainte, le désir de savoir, autre chose) ? Comment les outils numériques redéfinissent-ils ce travail et son rôle éducatif ? Comment adapter l’accompagnement pédagogique pour faire progresser efficacement les élèves dans leur appropriation des apprentissages (nous renvoyons ici à notre précédent article sur les types d’évaluation)?

Les inégalités de genre : des filles plus investies

L’étude met en évidence une différence notable entre les filles et les garçons. Les premières consacrent en moyenne deux heures supplémentaires par semaine au travail personnel. Elles adoptent des pratiques plus structurées, comme :

 

  • La réalisation de fiches de révision,
  • La remise au propre des cours,
  • Une plus grande propension à demander de l’aide en cas de difficulté.

 

Ces stratégies témoignent d’une meilleure organisation et autonomie chez les filles, mais posent la question de l’accompagnement des garçons dans leurs apprentissages. Par ailleurs, face à l’essor des outils numériques, les différences de genre dans l’utilisation de ces outils pourraient également être explorées : renforcent-ils ou comblent-ils les écarts observés ?

Travailler plus garantit-il de meilleurs résultats ?

Un autre enseignement surprenant de cette étude est que les meilleurs élèves – au sens des résultats scolaires – ne travaillent pas nécessairement plus. Ils ne consacrent en moyenne que 7 minutes supplémentaires par semaine à leur travail personnel par rapport à leurs camarades. Cela souligne que les compétences initiales, les stratégies d’apprentissage et l’organisation jouent un rôle plus déterminant que le simple volume horaire.

Ce constat, associé à l’utilisation croissante d’outils numériques, pose la question suivante : Ces outils favorisent-ils l’acquisition de véritables compétences ou encouragent-ils une dépendance à des solutions immédiates ? S’ils peuvent être des alliés dans la recherche d’information ou l’automatisation de certaines tâches, ils risquent aussi de détourner les élèves des pratiques d’apprentissage plus profondes, comme l’effort de réflexion et la persévérance, nourrissant un rapport difficile, voire angoissé, à l’erreur. 

Pourtant apprendre c’est aussi se tromper, c’est aussi “perdre” du temps, c’est aussi faire l’expérience de la lenteur, c’est aussi s’ennuyer pour pouvoir s’émerveiller. 

Quels pourraient être les enseignements d’une telle étude dans une réflexion plus vaste sur le travail personnel? 

Cette étude permet de poser les bases d’une réflexion plus large :

Comment accompagner les élèves dans la construction d’une véritable autonomie, sans partir du postulat erroné que l’autonomie est corrélée à leur volonté. En effet, il ne s’agit pas de “vouloir pour pouvoir”, l’autonomie suppose la mise en pratique de ressources matérielles, symboliques, elle nécessite une certaine conscience et estime de soi. Autant de compétences qui se développent dans le contexte d’un rapport de confiance avec les adultes. 

Quelle influence ont les outils numériques sur le travail personnel des élèves ? Favorisent-ils un gain d’efficacité ou contribuent-ils à une perte de compétences fondamentales ? Chez Paideia, nous nous interrogeons sur un enjeu central : dans quelle mesure les élèves confient-ils leur raisonnement à la machine ? Lorsque des solutions instantanées sont à portée de clic, le risque est de voir disparaître l’effort d’analyse, de réflexion et d’autonomie intellectuelle. Un autre défi majeur réside dans l’impact d’un langage simplifié. Un usage réducteur du lexique peut limiter la capacité des élèves à décrire, nuancer et comprendre la complexité du monde. Pourtant, c’est cette richesse du vocabulaire qui permet de penser le monde en profondeur et d’en saisir toutes les subtilités pour en imaginer les solutions.

Enfin, comment optimiser le temps de travail personnel pour qu’il reste une opportunité d’apprendre, d’expérimenter et de se structurer, tout en valorisant l’effort, la persévérance et surtout atteindre l’appropriation réelle ?

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Auriez-vous imaginé que les lycéens consacrent en moyenne 7h15 par semaine à leur travail personnel ? Selon vous, ces outils numériques viennent-ils enrichir ou appauvrir leur apprentissage ? Et plus largement, ce temps est-il suffisant ou bien utilisé pour garantir leur réussite ?

Pour aller plus loin voici quelques ressources :

 

  • Le travail réalisé par le centre Allain Savary

https://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/ressources/theme-2-perspectives-relatives-a-laccompagnement-et-a-la-formation/copy_of_travail-dans-et-hors-la-classe-des-ressources-pour-la-formation 

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