Décrochage scolaire

Qu’entend-on aujourd’hui lorsqu’on parle de décrochage scolaire ? Sans que la définition suivante fasse consensus, l’élève décrocheur est celui qui s’inscrit sur une année donnée mais qui n’obtient ni de qualification ni de diplôme durant cette année et ne se réinscrit pas l’année suivante dans une formation générale ou professionnelle. Selon le CNESCO (Centre national d’études des systèmes scolaires), le décrochage scolaire est en baisse entre les années 2006 et 2016 : 550 000 jeunes de 18 à 24 ans étaient concernés par cette situation de décrochage en 2006, contre 450 000 en 2016. Si le décrochage scolaire représente encore une problématique qui oriente les politiques éducatives, il n’en reste pas moins que d’énormes progrès ont été accomplis : le pourcentage de jeunes sortis du système éducatif sans diplôme autre que le brevet avoisinait les 40% au début des années 80, tandis qu’en 2011, on en comptait 10,5%. En 2019, ils sont encore 8,2%

De ce fait, le décrochage scolaire n’est pas anodin. Loin d’être un enjeu purement individuel dû aux impacts sur l’estime de soi et sur la santé (la littérature scientifique fait émerger une corrélation positive entre la santé et la durée de la scolarité), le décrochage impacte plusieurs dimensions et interroge. Il questionne tout d’abord la norme scolaire où l’enseignement secondaire donne accès à une grande variété de formation avec des durées hétérogènes, désormais synonyme de standard à atteindre pour les jeunes. De même, le décrochage a une incidence sur l’aspect social, puisqu’il constitue un facteur d’importance dans le risque d’inactivité ou de chômage de longue durée, et pourrait même, s’il est diminué, réduire la criminalité. Enfin, le décrochage intervient dans le champ économique. Parce qu’il est l’une des principales causes du chômage, sa conséquence est un manque dans l’appareil productif en plus d’un coût en aides sociales. 

On comprend ainsi, avec tous les enjeux que nous venons d’évoquer, que les politiques éducatives font du décrochage scolaire un phénomène pour lequel il est nécessaire d’apporter des solutions. Dans cette optique, le décrochage scolaire a été maintes fois étudié afin de cerner les facteurs qui augmentent les risques de ce processus. 

Là aussi, les travaux du CNESCO permettent d’identifier quelques facteurs principaux. On y trouve notamment le milieu socio-économique défavorisé (structure familiale fragilisée, niveau de qualification des parents en particulier celui de la mère), les difficultés d’apprentissage, les expériences scolaires négatives (orientation subie, distance avec les savoirs académiques, découragement), le contexte scolaire défavorable (climat scolaire tendu, peu ou pas de mixité sociale, pratiques pédagogiques peu valorisante ou indifférenciée), et le contexte territorial (offre de formation non attractive dans le territoire, emplois disponibles sur le territoire). En dehors du milieu socio-économique et du contexte territorial, tous les autres points se retrouvent en lien étroit avec l’école. Ainsi, les décrocheurs permettent de mettre en lumière les faiblesses d’une école qui, même si elle ne peut raisonnablement satisfaire la totalité des élèves, participe à en conduire d’autres vers la démotivation et le désintéressement. Mais pourquoi les élèves décrochent-ils ? L’école peut-elle véritablement être considérée comme responsable ? Faut-il regarder ce qu’il se passe dans les établissements et dans les classes pour comprendre ce phénomène ? 

C’est en tout cas l’hypothèse de Bastien Sueur dans son article « Ce que nous apprend le décrochage scolaire » dans lequel il soutient : « qu’il n’y a pas, d’un côté, les « exclus » et de l’autre les « inclus », avec une différence de nature entre les deux : c’est un même rapport aux savoirs et aux individus qui fabrique des inclus et des exclus ». Pour l’auteur, les rapports aux savoirs sont trop instrumentaux : les élèves apprennent en vue de leurs évaluations, et non pour se construire dans le débat avec eux-mêmes et avec les autres. En somme, le sens des apprentissages échapperait aux élèves, et plus particulièrement à ceux n’ayant pas eu l’opportunité d’être familiarisé avec la culture scolaire. A cela, il faut ajouter un sentiment de la part des jeunes de manque de considération lorsqu’ils se trouvent à l’école. Toujours selon lui, « les modes d’intelligibilité du réel » c’est-à-dire les diversités des manières d’aborder un objet d’étude ne sont pas suffisamment reconnues par l’institution, laquelle empêche la culture scolaire d’entrer en lien plus direct avec celle des jeunes. Les témoignages recueillis par la recherche concordent avec ces deux explications : les décrocheurs disent avoir quitté l’école « faute d’y avoir trouvé une place acceptable ou une place tout court » tandis que les adultes qui les accueillent observent que ces jeunes sont blessés, avec une image d’eux-mêmes très détériorée par les jugements et les résultats scolaires. 

Enfin, quant à la responsabilité de l’école, ne serait-il pas profitable de considérer qu’elle en porte une partie quant au décrochage ? Ne faudrait-il pas y voir, plutôt qu’une accusation stérile, la possibilité de trouver des solutions ? Endosser une responsabilité, n’est-ce pas aussi se donner l’opportunité d’évoluer ? 

 


 

1 https://cpe.ac-dijon.fr/spip.php?article911#:~:text=D%C3%A9finition%20officielle%20%3A%20Le%20d%C3%A9crocheur%2C%20ou,une%20formation%20g%C3%A9n%C3%A9ral%20ou%20professionnelle

2 https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/12/171208_Dossier_Synthese_Decrochage_scolaire.pdf

3 https://www.education.gouv.fr/la-lutte-contre-le-decrochage-scolaire-7214

4 https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/12/171208_Dossier_Synthese_Decrochage_scolaire.pdf , p 8.

5 https://www.cnesco.fr/decrochage-scolaire/facteurs/

6 https://www.cairn.info/revue-etudes-2013-12-page-605.htm

7 https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-5-page-36.htm

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