Changer le regard porté sur la jeunesse

La situation de l’éducation en France, et en particulier de l’éducation prioritaire, a sensiblement changé durant les deux dernières décennies. Les nombreux diagnostics établis par les études scientifiques et les comparaisons internationales montrent, au mieux la persistance, au pire l’accroissement de l’inégalité des chances.

Par inégalité des chances, il faut entendre l’inégalité d’accès à chacun des niveaux scolaires en fonction de son origine sociale. A titre d’exemple, l’étude PISA 2015(publiée en décembre 2016) montre en comparaison de l’étude 2006 pour le cas français, que si la proportion des élèves très performants est stable, celle des élèves en difficulté tend à augmenter. Aussi, si dans tous les pays et économies participant à l’enquête, les élèves les plus défavorisés sont moins susceptibles de réussir à l’école que leurs camarades plus favorisés, l’écart entre les deux publics est particulièrement marqué dans notre pays. Près de 40% des élèves issus de milieux défavorisés sont en difficulté (contre 34% en moyenne dans l’OCDE). Et « seuls 2% des élèves issus de milieux défavorisés se classent parmi les élèves les plus performants ».

Ainsi, l’origine sociale, de même que le territoire d’origine ou le niveau de qualification des parents semblent marquer avec force la trajectoire des élèves indépendamment de leur « mérite » ou leurs qualités intellectuelles. Les facteurs renforçant ce processus ségrégatif sont étudiés par la littérature des sciences humaines et sociales. De nombreuses études en économie et en sociologie notamment s’accordent sur le constat d’inégalités cumulatives (capital culturel, maîtrise de la langue, niveau de formation des parents, capital financier, éloignement géographique, etc.). 

Différents acteurs, au premier desquels l’Etat, développent de nombreuses médications en vue de limiter voire d’inverser ce phénomène. La réforme du Lycée, initiée en 2013, est désormais achevée. Elle est complétée depuis 2014 par la refondation de l’éducation prioritaire, notamment au collège. À cela il convient d’ajouter le changement des périmètres géographiques et politiques des Régions opéré durant l’année 2016. Par l’ensemble de ces mesures, et bien d’autres, les pouvoirs publics tentent de répondre à l’urgence sociale que constitue la persistance des inégalités socio-scolaires. De leur coté, de nombreuses institutions éducatives, des associations, des entreprises, des fondations agissent en vue de réduire ces inégalités. Pourtant, la situation continue d’être préoccupante pour la population la plus fragile tant sur le plan scolaire que sur le plan professionnel. 

L’étude PIACC (Programme for the International Assessment of Adult Competencies) réalisée par l’OCDE mesure les compétences en numératie(capacité́ d’utiliser des concepts numériques et mathématiques), littératie(capacité́ de comprendre et de réagir de façon appropriée aux textes écrits) et la résolution de problèmes dans des environnements technologiques (capacité́ d’accéder à des informations trouvées, transformées et communiquées dans des environnements numériques), de les interpréter et de les analyser. Les résultats de l’évaluation administrée en 2012 suggèrent un parallèle avec l’étude PISA. En effet, les résultats des Français varient sensiblement en fonction de leur origine sociale et de leur niveau de formation, dans une proportion bien plus importante que la moyenne des pays de l’OCDE.

La persistance de ces inégalités pèse doublement : d’une part sur la cohésion sociale en privant des segments de la population d’une espérance en l’avenir voire en amplifiant les peurs liées au déclassement, d’autre part sur l’économie. En effet, la non-transformation des « potentiels », l’échec scolaire et universitaire, les difficultés à pourvoir certains postes engendrent un coût important pour l’ensemble de la société.

Selon un rapport rédigé par Terra Nova et publié le 6 mars 2014, le coût de l’échec scolaire est estimé à 24 milliards d’euros par an. Précisément au sein de l’enseignement supérieur, le coût du redoublement (dû, entre autres, à une mauvaise orientation et/ou à des faiblesses académiques accumulées durant la scolarité secondaire) est évalué à 500 millions d’euros par le MESR. La dépense est donc d’ores et déjà engagée par l’autorité publique.

A ces chiffres dont le volume semble déjà conséquent, il faut ajouter ce que peut représenter le coût humain et psychologique sur des générations entières de jeunes et, par ricochet, sur leurs parents et environnement immédiat.

Une fois le paysage esquissé vient l’épineuse question « que faire ? ».

Depuis plus de 15 ans, de nombreux acteurs privés se saisissent en France du sujet de « l’égalité des chances » en développant des programmes de pédagogies « innovantes » ou d’ouverture sociale. L’objectif affiché est d’accompagner les élèves issus des catégories socio-professionnelles défavorisées dans l’affirmation d’une ambition de poursuite d’étude dans l’enseignement supérieur quelle que soit la filière choisie.

Cependant, lutter contre les inégalités ne peut pas se résumer à promouvoir des filières dites « d’élites » dans une logique malthusienne. Cela ne peut se faire en ne ciblant parmi les bénéficiaires que des élèves dits « à potentiel ». Certes, ces dispositifs ont le mérite d’exister et la vertu de faire vivre un débat sur la capacité et la faculté de notre société de promouvoir ce qu’il y a de meilleur en chaque individu au travers d’institutions justes, équitables, solidaires, responsables et efficaces. Mais il faut aller au-delà. La France a accumulé de solides expériences lui permettant de se projeter en créativité.

Innover ne relève pas de la pensée magique, cela suppose de questionner : nos postulats voire nos certitudes, nos outils, l’allocation de nos moyens et naturellement le sens – intellectuel – et civique – de notre action.

Interrogeons-nous collectivement :

  • En se focalisant sur les « élèves à potentiel » que fait-on des autres ?
  • Comment définir avec une quasi-certitude un « jeune à potentiel », cela a-t-il vraiment beaucoup de sens à un âge où l’horloge biologique est encore en ébullition et où les expériences qui forgent sont encore à leurs prémisses ?
  • Comment traite-t-on, spécifiquement, les différents aspects ségrégatifs (la distance géographique et culturelle notamment) ?
  • Comment réfléchit-on aux rapports qu’entretiennent les jeunes au savoir, à l’heure où l’écran devient ?
  • Les contenus et les formes d’enseignement sont-ils adéquats à tout type de publics, et notamment aux publics fragilisés ?
  •  Comment accompagner chaque jeune à identifier ses goûts intellectuels ?

Bien sûr il ne s’agit pas là d’épuiser toutes les questions du sujet, mais de relancer la réflexion collective et de se préparer à orienter nos regards vers ceux qui se sentent invisibles, celles et ceux décris comme des “ados sans motivation”, pire “sans potentiel”!

Notre responsabilité consiste à rétablir (ou établir) du sens et de la cohérence là où l’usage mécanique des habitudes et schémas de pensée trace en pointiller le devenir des nouvelles générations.

Chaque nouvelle génération est unique et doit être regardée comme telle. L’enseignement supérieur gagnerait à collaborer sur son terrain de prédilection, celui de la pédagogie, avec l’enseignement scolaire. Le monde du travail gagnerait à être écouté sur ses attentes car nous espérons tous que nos jeunes s’épanouissent dans un métier. L’enseignement secondaire gagnerait à être écouté sur la formidable expertise qu’il a su développer au travers dans l’accompagnement d’une multitude de formes de difficultés… 

La nouvelle page pour l’égalité des chances et la cohésion sociale s’écrira dans un collectif à la fois élargi et consolidé et surtout avec un regard complètement changé.

Hâkim HALLOUCH

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