Au coeur des malaises enseignants – Anne Barrère

Conseil de lecture

« Au cœur des malaises enseignants » est un titre fidèle. À travers les sciences sociales et les témoignages des enseignants du secondaire, Anne Barrère, professeure des universités à l’Université Paris Cité et membre du laboratoire du CERLIS (Centre de la recherche sur les liens sociaux du CNRS), propose de cerner les différents facteurs qui contribuent aux difficultés rencontrées au sein de cette profession. Pour ce conseil de lecture, nous avons décidé de nous concentrer principalement (sans toutefois exclure le reste du livre) sur le premier chapitre, intitulé « portrait collectif des enseignants en travailleurs ».

Avant de décrire les tâches des enseignants, l’autrice aborde ce qui pourrait s’apparenter à un déclassement du métier. Autrefois symbole de prestige social et intellectuel, l’image de la profession est désormais banalisée par l’augmentation continue du nombre des enseignants durant le XXème siècle. Plus encore, c’est l’écart entre la reconnaissance extérieure (ou même de la part des collègues) et le degré d’investissement des enseignants qui participe à instaurer un malaise. Tantôt vu comme noyé sous la charge de travail pour une compensation pécuniaire insuffisante, ou comme des fonctionnaires “fainéants profitant des vacances”, le métier d’enseignant est régulièrement déconsidéré et subit de nombreux clichés. 

Dans une considération plus historique, l’ouvrage rappelle que le métier a connu des transformations et des déstabilisations comme la massification scolaire qui a entraîné de profondes modifications dans le rapport aux élèves. Ils ne sont plus seulement « des adultes en devenir qu’il faut éduquer par la fréquentation des savoirs universels et l’exercice de la raison », mais des jeunes avec leurs cultures, leurs caractéristiques et donc une nouvelle prise en compte de leurs spécificités. De cette reconnaissance plus fine de l’individu, l’enseignant se retrouve pris dans des interactions sociales qui se complexifient où son adaptation est mise à rude épreuve. Se définissant comme un « travail sur autrui », l’exercice de l’enseignement est donc en lui-même porteur de problèmes inextricables, puisqu’il vise la transformation profonde d’individus pris dans leur diversité. Seulement, c’est ici que se joue un problème considérable. Pour aboutir à cette évolution, il faut obtenir l’acceptation et la coopération des élèves par rapport aux actions pédagogiques menées. Loin d’être un combat gagné d’avance, c’est bien ce consentement qui n’est pas facilement donné, ajoutant ainsi des difficultés au travail enseignant.   

Du métier d’enseignant, Anne Barrère en décrit soigneusement les activités pour mettre à jour les tensions qui les traversent. Faire cours par exemple, c’est à la fois synthétiser un programme, mobiliser les ressources parascolaires, trouver les bons exercices, rechercher le support adéquat, se mettre en scène, susciter l’intérêt des élèves etc. Jugés comme responsables de la réception de leurs cours, les enseignants ne sont plus invités à seulement « faire cours » mais à « faire classe », en prenant en compte l’hétérogénéité des élèves, certes nécessaire pour répondre à leurs besoins, mais inatteignable tant le nombre d’élève et l’hétérogénéité de niveau entre eux sont importants. Les enseignants sont donc quotidiennement et invariablement placés dans un « entre deux pédagogique », lequel n’est pas sans rapport avec une perpétuelle remise en question vis à vis des façons de s’y prendre avec les élèves, voire un sentiment d’impuissance lorsque les cours préparés se révèlent être un échec en classe.

Cette position d’entre deux se retrouve aussi dans les évaluations, où les enseignants sont à la fois pris dans des fonctions de réassurance et de motivation des élèves, mais aussi de maintien des exigences scolaires. La dualité va jusqu’à l’attribution de la note : ne pas décourager les efforts par des notes trop faibles et récurrentes, mais conserver des attentes vis-à-vis des savoirs académiques enseignés et faire comprendre que le travail rendu peut être insuffisant. De surcroît, les évaluations sont des objets impliqués dans plusieurs dimensions. Pédagogiques d’abord, car elles peuvent en effet renvoyer à l’enseignant une mauvaise image de son travail quand les résultats sont plus faibles qu’attendus. Décisionnelles ensuite, puisque les résultats des évaluations sont des éléments de poids dans l’attribution d’un parcours de formation pour les élèves. Relationnelles enfin, l’évaluation pouvant amener à des échanges, provoquer des conflits, de l’incompréhension, ou servir de menace quand un cours est perturbé par les élèves.

Des quelques témoignages des enseignants qui ont lu l’ouvrage, il ressort que le travail d’Anne Barrère permet de mettre des mots sur la réalité de leur métier, de donner une explicitation éclairante. « Au coeur des malaises enseignants » participe à une mise à jour des controverses, des embûches et choix faits par les enseignants. Pour un public non averti du métier, il servira à renseigner les situations auxquelles les enseignants sont confrontées et à comprendre quels sont les enjeux qui s’y rattachent. Le livre nous invite à une immersion dans ce monde de la classe, si décrié et en fin de compte si peu compris…

 

 


 

Éditeur : Armand Colin

Auteur : Anne Barrère

Pages : 208

Année 2017

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